ALPHA WANN, À L’APOGÉE DE SON ART

Par Axel Delbcq (aka Don Delbecq)

Le 21 septembre dernier, Alpha Wann a sorti son premier album, baptisé UNE MAIN LAVE L’AUTRE (UMLA). Ce projet de 17 titres tant attendu, qui a déjà fait l’unanimité parmi les auditeurs de rap, est un concentré rare de technique pure, de flows percutants, de punchlines fines et brutes, de prods banger et mélodieuses. Dès la première ligne de PIÈGE, Philly Flingue résume parfaitement son retour au sommet du rap game français: “J'arrive en mode raptor, rappe fort, en mode débarquement sur les plateformes de téléchargement.” Le rappeur préféré de ton rappeur préféré nous livre un album maîtrisé de la première à la dernière ligne.

Pour se pencher sur la carrière d’Alpha Wann, il faut remonter à la source. Nous sommes en 2010, Alpha Wann, accompagné de sa bande composé de Nekfeu, Sneazzy, Fonky Flav, Areno Jaz et DJ Lo’, enchaîne les open mics dans les rues de la capitale et fonde le collectif 1995. Le collectif sort deux EP en 2011 et 2012, “La Source” et “La Suite”, qui rencontreront un fort succès auprès des amoureux de rap. Une véritable hype se crée autour du groupe, considéré comme la relève du rap old school en France. Avec leurs rythmes boom-bap et leurs rimes soignées, le groupe est révélé au grand public avec leur premier album “Paris Sud Minute” en 2013, qui sera récompensé d’une Victoire de la Musique. Alpha Wann est également un membre de L’Entourage, un collectif plus élargi composé de membres d’1995 et d’autres rappeurs français comme Jazzy Bazz, Eff Gee, les membres du S-Crew, ou encore Deen Burbigo. Au sein de collectif fondé en 2008, Alpha Wann va participer à des battles de rap contenders, dont il gardera un mauvais souvenir car déçu de ses performances. Il affirme dans le morceau PAIRE DE PRADA (Alph Lauren III): “J’étais naze aux R.C., maintenant j’ai plus d’adversaires”. En 2014, L’Entourage sort Jeunes Entrepreneurs, le dernier album collectif auquel Alpha Wann participera.

2014, année durant laquelle Alpha Wann démarre définitivement sa carrière en solo. Il se lance dans les « Alph Lauren », une saga de 3 projets, qui sortiront respectivement en 2014, 2016 et 2018. Ces mixtapes serviront d’expérimentation au rappeur, lui permettant de travailler sa technique et ses rimes en attendant son premier album. De ces trois projets ressortiront quelques morceaux référence comme L’histoire d’un type bien, À deux pas en featuring avec Nekfeu, Barcelone, Lunettes Noires en featuring avec Spri Noir. Dans le dernier opus « Alph Lauren III », on retrouve des morceaux toujours aussi épurés et techniques, en accord avec le style du rappeur, mais des morceaux qui ne rentraient pas dans un album selon lui.

Entre temps, Alpha Wann fonde avec le DJ Hologram Lo’ et Marguerite du Bled le label DonDada Records en 2013. Alpha Wann s’inscrit, tout comme le fait Nekfeu et son label Seine Zoo, Darryl Zeuja et son Jihelcee Records, Sneazzy et SuperSound, et Fonky Flav avec Panenka Music, dans la volonté de produire de la musique en toute indépendance.

En dehors de ses projets solos, Alpha Wann collabore sur des albums d’autres rappeurs à partir de 2015. On peut le retrouver avec Nekfeu sur Point d’interrogation (Feu), Vinyle (Cyborg), avec Lomepal dans Chienne de vie (Majesté), avec Sneazzy sur Ouais mec Remix (DBSS) et Parle pas trop (DBSS III). Dernièrement, on le retrouve dans l’album Nuit de Jazzy Bazz où il rappe en compagnie d’Infinit’ sur le morceau Insomnie, et sur Vivre bien de ce dernier, sorti il y a quelques jours.

Comme tout bon rappeur, Alpha Wann a sorti ses freestyle de référence, que sont National Sily et Playoffs Freestyle, pour nous rappeler qu’il reste le meilleur kickeur du rap français, sans avoir sorti un seul album. Mais cet album, est enfin sorti.

La conception d’UMLA a commencé en 2016.Alors que certains rappeurs produisent leurs albums en quelque semaines seulement, Alpha Wann a mis deux ans pour produire le sien. Il souhaitait faire de son album une oeuvre dans laquelle tous les morceaux sont liés entre eux. Le rappeur parisien a conçu son premier album comme une oeuvre cohérente, et non comme une suite de morceaux. Cet album est produit par les beatmaker Hologram Lo’ et VM the Don. À la surprise générale, cet album ne contient que très peu de featuring, seulement 4, et aucun avec Nekfeu, ce qui a beaucoup fait réagir étant donné que le Fennec a invité Phaal sur ses deux albums. Si Nekfeu n’a pas été retenu sur Langage Crypté, on le retrouve dans le pull up après l’énorme punchline “Tu l’appelles Mère Patrie, j’l’appelle Dame Nation” dans Piège. Alpha Wann invite trois rappeurs moins connus sur son album, Infinit’ à qui laisse le soin de rapper les deux couplets sur Le Tour, Og L'Enf qui rappe sur la seconde partie de 1500, et le rappeur Diaby qui chante les refrains sur Fugees.

Dans cet album, Alpha Wann se livre plus intensément qu’auparavant sur son rap, et sur sa vie. On y découvre un Phaal conscient que son rap ne passera pas sur Skyrock car il n’est pas dans la vibe actuelle. Il se renferme donc dans son style habituel, rempli d’influences cainri, et affirme haut et fort qu’il est le dernier rappeur qui rappe (Cascade-Remix). Une grande partie des textes d’Alpha porte sur son égotrip, comme d’ailleurs une grande partie des morceaux de rap actuels. Il se considère comme le meilleur rappeur dans plusieurs punchlines toutes aussi bien écrites que les autres: “Mets une bonne somme et j’t’apprends le rap en dix leçons” (Le Piège), “J’viens du bassin parisien, j’te regarde haut et j’suis pas sympathique, j’fais pas le rap que ces catins pratiquent” (Stupéfiant et Noir), “Pour que tu comprennes c’que j’dis, j’rappe avec le flow lent” (Cascade-Remix), “Le rap français c’est de la de-m’” (Parachute Chanel).

La thématique de l’argent trouve également sa place dans l’album, bien qu’Alpha ne se considère pas comme quelqu’un d’obsédé par l’argent, il n’en n’oublie pas pour autant la position centrale de l’argent dans la société, seul moyen pour lui de jouir d’un bon confort de vie. Il répète inlassablement le chiffre “1500” dans le morceau éponyme. Est-ce son salaire journalier ou bien son objectif? La réponse indique dans tous les cas que l’argent et le luxe intéresse nombre de rappeurs, comme le refrain d’OG L’Enf “J’veux conduire la Bentley dans Béthléem, livres sterling qui tombent dans la bank, récupère les shekels dans la caisse”.

Une des grandes passions d’Alpha Wann est la sapologie, traduisez la science du vêtement. Dans un grand nombre de ses morceaux, Alpha Wann met en avant son goût pour la mode. Son label DonDada produit d’ailleurs une collection de vêtements, renouvelée à chaque saison. Dans Langage Crypté, Alpha nous rappelle son amour pour la marque Ralph Lauren (“Mais Phaal veut que du Ralph”), et son élégance habituelle (“Et j’ai ma veste old school, frais jusqu’au coup”). Chaque jour, Alpha Wann se concentre sur son style vestimentaire, comme si c’était une routine: “Puis comme d’habitude, j’me lève, j’ai la b*** dure, j’me douche et j’me sape bien, il faut qu’mes habits tuent”, dans Le Piège. Plus bas, Alpha Wann dénonce la prédominance de l’apparence dans la société parisienne notamment, tout en assumant participer à ce système: “L’homme veut impressionner avec des logos et des sapes (…) Tout est dans l’paraître, parce que l’homme juge à l’apparence, faut être paré surtout à Paris, ouais j’dis ça mais j’suis pareil”.

Cependant, alors que les thèmes précédemment évoqués étaient déjà récurrents dans les projets de Phaal, ce premier album lui permet de se livrer comme jamais il ne l’avait fait auparavant. Il va jusqu’à aborder un thème sur lequel il était rester très discret jusqu’ici, celui de l’amour. Le morceau Pour celles consacré entièrement à cette thématique, bien que plus précisément axé sur « l’amour déçu » nous offre une facette totalement nouvelle d’Alpha Wann. Il commence son morceau en dédicaçant “toutes celles que je kiffaient mais qui me kiffaient pas.” Ce morceau est divisé en deux parties, l’époque du collège où il rencontre son premier amour, après avoir vécu d’innombrables échecs sentimentaux, qu’il justifie par son physique peu attractif, puis la période du lycée où il entame une relation amoureuse de 5 ans, qu’il doit couper pour se consacrer au rap, son vrai amour. C’est donc sur un ton à la fois d’autodérision mais également laissant une place un regret d’être passé à coté d’une relation pour sa passion et sa musique qu’il tire un bilan sur sa vie amoureuse.

Si UMLA se démarque des autres albums de rap par sa régularité dans l’intensité des morceaux, et par sa maîtrise des rimes, on peut émettre certaines critiques à l’égard de l’album.

D’une part, on peut reprocher à Alpha Wann de n’avoir que très peu évolué dans son flow,(il faut néanmoins reconnaitre Alpha Wann maîtrise parfaitement ce style, qu’il travaille depuis des années). On remarque qu’il a exactement le même flow sur Paire de Prada (Alph Lauren III) et sur Stupéfiant et Noir. D’autre part, les morceaux de l’album se ressemblent beaucoup (trop?) ce qui pourrait créer une forme de cohérence mais finalement nous donne une impression de répétition dans l’album. Enfin, quel morceau va porter l’album dans le temps ? Est-ce que Stupéfiant et Noir, morceau le plus streamé à l’heure actuelle, vont perdurer dans les prochaines années? D’autres morceaux vont-ils se démarquer au fil du temps? On peut penser à Cascade - Remix qui a très bien fonctionné et dans lequel Alpha se livre beaucoup sur sa vie et son rap pourrait faire partie de son héritage mais aucun morceau ne sort vraiment du lot.

Pour comprendre le personnage d’Alpha Wann, sa musique et son message, l’écoute d’un album n’est pas suffisante. Il faut nous plonger profondément dans sa discographie car il ne délivre que très rarement des morceaux contenant un message unique. Son message global est distillé dans toute son oeuvre. Le meilleur rappeur français, l’un des plus pointilleux et perfectionnistes, nous offre un album puissant. Son message se compose en deux parties, d’un côté il nous invite à nous entraider les uns les autres, car l’on ne peut avancer sans les autres, d’où la métaphore d’une main lave l’autre, car une main ne peut se laver toute seule (bah oe logique me direz-vous), et d’un autre côté il nous invite à travailler pour obtenir ce que l’on souhaite, à exceller dans une activité qui nous procure du plaisir. Même si les morceaux d’Alpha Wann n’atteindront sûrement jamais la postérité, son style lui, restera dans nos mémoires encore bien longtemps. “Très peu probable que je tape un platine, faut que j’fasse un classique”. Mission réussie pour Philly Flinguo.