La popularisation de la musique électronique
- Chloé
- 11 mars 2020
- 16 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 sept. 2020
Allez directement vers la partie qui vous intéresse le plus :
1. Plutôt l'histoire de la popularisation du style
2. Les artistes français de la musique électronique qui se sont exportés
3. Mes suggestions de coups de cœur
On peut dire que c’est depuis les années 1990 que la musique électronique s’impose comme une tendance artistique majeure de la culture contemporaine, mais cet incroyable style remonte à des temps lointains. Mais il vient en revanche de contrées pas si lointaines...
Genèse européenne
Bien que pratiqué depuis le début du XXème siècle, c’est à partir de 1930 que le style est expérimenté par les avant-gardes musicales occidentales, avant de s’exporter vers 1945 dans des studios de recherche. L’année 1948 marque un tournant avec les premiers centres de musiques expérimentales : l’électro s’institutionnalise avec des studios et laboratoires financés par des instituts de production audiovisuelle. Pierre Schaeffer, pionner de la musique dite concrète (notamment avec son Concert de bruits conçu en 1948 qui développe une méthode de composition musicale : partir du son comme d’un matériau brut à travailler avec les machines) lance en 1948 le Club d’Essai de la RTF (radio tv française), puis le Groupe de Recherches Musicales en 1951, qui va réunir une génération de compositeurs de musique concrète et d’électroacoustique (par ex Pierre Henry – «Apocalypse de Jean»- 1968).
Jusque 1960, il s’agit donc globalement de compositeurs dits d’avant-gardes (on pense à Henry Cowell ou à Oskar Sala, issus de la musique savante et contemporaine qui testent tous les outils technologiques (on peut citer le Clavecin, télégraphe musical, mais surtout le Theremin Vox conçu par Léon Theremine en 1920, le 1er instrument électronique à forte notoriété car il a introduit la possibilité de contrôler la hauteur et le volume d’un son synthétique)
Allemagne
Ce pays fut la terre propice aux expérimentations. Déjà en 1951, le studio de Cologne fondé par Herbert Eimert et Robert Beyerfait des recherches uniquement à partir d’une musique générée à l’aide de l’électronique, qu’ils sont parmi les premiers à nommer Elektronische Musik. Un bras de fer commence entre eux et l’école de la musique concrète française : cette distinction dans l’utilisation des techniques a pour but de marquer l’opposition politique dans le contexte de l’après seconde guerre mondiale et de défaite de l’Allemagne. Ce studio va voir fleurir les compositions majeures telles que Glissandi de Ligeti en 1957, ou en 1964 la grande Mikrophonie I de K. Stockhausen.
Au-délà du continent
Seulement, il faut oublier que cette genèse n’est pas que l’adage du continent européen. Aux Etats-Unis elle a accompagné la révolution numérique en marche, et a été promue par le talent de DJ noirs-américains, qui s’appuyaient surtout sur des bases de house et de techno, qui on le rappelle sont les genres fondateurs de la musique électronique.
Pour des termes plus précis, aux USA c’était la tape musique, autrement dit musique pour bande magnétique, que l’on nommait pour désigner le même type d’expériences musicales que celles pratiquées dans les 1950s en France (« électroacoustique ») et en Allemagne (« Elektronische Musik »). L’année 1952 marque l’ouverture du Tape Music Center de l’Université de Columbia à New York, fondée par Otto Luening (1900-1996), qui travaille d’abord sur des expériences timbrales réalisées à partir de sons acoustiques à l’aide de la bande magnétique, puis qui se popularise grâce à l’acquisition du synthétiseur Olson Belar RCA Mark II, et devient alors le Columbia-Priceton Electronic Music Center en 1957. Avec ce synthétiseur va être réalisé en 1968 par Charles Wuorinen Time’s Encomium, récompensé par le Prix Pultizer.
En outre, la musique minimaliste et répétitive se propage principalement aux USA. Dans les 1960s, elle utilise à la fois instruments/outils électroniques et acoustiques/traditionnels, en s’appuyant sur le magnétophone et la bande magnétique qui permettent une mise en boucle du son. L’illustration parfaite de cette période reste La Monte Young avec ses Dream Houses dès 1966, avec ses œuvres qui mêlent compositions sonores et arts plastiques.
Pour finir, l’introduction de la computer music aux USA a fini de lancer le genre électronique. Au départ ayant lieu dans les laboratoires universitaires comme l’Experimental Music Studio de l’Université de l’Illinois, les expériences de la musique assistée ou générée par ordinateur voient le jour dans les 1950s. Il faut encore une fois compter sur l’impulsion française d’artistes comme Jean-Claude Risset qui, avec sa prouesse « Mutations » en 1969, popularise le Bell Lab, société américaine alors encore dans l’ombre.
Ainsi à partir des 1960s, ces techniques atteignent la musique pop et la bouleversent en fusionnant l’électro avec des sonorités plus populaires, voire commerciales, de sorte que les frontières de la musique électronique ont souvent été floues, avec des utilisations de ce style parfois involontaires qui n’ont pas plu à certains puristes attachés à sa symbolique esthétique. Seulement, sa reconnaissance en tant que style musical ne signifie pas qu’elle est directement popularisée ; il faudra plusieurs vagues novatrices pour qu’elle soit enfin apprivoisée par le grand public.
Une lente démocratisation
Cette musique initialement limitée aux classes privilégiées avait d’abord conquis les rave-parties et groupes sociaux un peu cloisonnés (dans le sens où il fallait avoir les bonnes adresses) avant de se propager pour de bon. Alors, quels sont les moteurs de cette démocratisation ?
D’abord, l’effet cinéma des 1960s : les techniques de studio et la démocratisation d’outils comme le magnétophone immiscent directement l’électro dans le cinéma. C’est le theremin dont on a parlé qui va jouer ce rôle d’ouverture : ses harmonies éthérées et ses fréquences aériennes concordent parfaitement avec les procédés sonores du cinéma dit fantastique ou thrillers (Hitchcock – Billy Wilder- jusqu’au puissant Guillaume Tell de Rossini pour la bande-annonce d’Orange Mécanique du grand Kubrick (coucou Marie) en 1971).
Puis, l’effet synthétiseur vers 1965 : la commercialisation en série des premiers synthétiseurs modulaires (« analogiques ») permettent aux musiciens de créer, filtrer et modifier facilement les sons électroniques (-> ces outils conçus à travers le monde occidental, notamment par Paolo Ketoff en Italie, sont de taille réduite et permettent un contrôle des paramètres sonores mais aussi du terme de timbre et de la tonalité).
Le style cosmique et planant des 1970s d’artistes aux albums entièrement instrumentaux connait un grand succès. Big up ici à el famoso Jean-Michel Jarre et sa masterclass Oxygène en 1976. Ce style qui se fraie sa place dans la pop music allie les nappes synthétiques et les accords aériens, une révolution.
Surtout, la revendication d’une esthétique psychédélique dans les 1970s par des groupes hypraconnus comme les Beach Boys (pour la première fois avec Pet Sounds en 1967) et les Beatles (ex collab avec John Lennon en 1968 sur Revolution 9 -tape music). Puis, ce que l’on a appelé le rock psychédélique, à l’instar des Pink Floyd qui se servent de la musique concrète pour des collages sonores comme dans Money ou On the Run, de l’exceptionnel Dark Side of the Moon- 1973.
Alliage du jazz et de l’électronique aux USA, étape cruciale de cette démocratisation : les techniques de mixage et du collage sur bande magnétique, pratiquées dans les studios innovants, sont accaparées pour le meilleur par les jazz-man dans les 1970s. Miles Davis, avec Bitches Brew en 1970 s’inspire de l’électroacoustique qui donne une dimension spatiale à ses mélodies blues. Ce courant se démarque comme un « electric-jazz », et sera en partie promu par George Russel avec ses bandes magnétiques telle que The Electronic Sonata For Souls Loved By Nature en 1968.
L’ambient, créatrice d’un mood dans lequel on aimerait être forever : En 1975, Brian Eno a pris sans même le savoir le tournant final : la musique électronique façon tonalités atmosphériques. Il produit des œuvres originales destinées à des moments particuliers ; créer un espace calme pour penser : c’est le cas de son album Ambient, 1978.
La disco constitua la dernière avancée vers le grand public, parce que c’est un des premiers genres musicauxdont l’esthétique puise son essence dans la pratique des DJ : déjà dans les discothèques gays new-yorkaises vers 1975, jusqu’à se propager dans l’audience populaire dans les 1980s. Dans l’ensemble, des voix plutôt féminines qui puisent dans la soul music et le gospel avec une dynamique de célébration dans le rythme qui se fait à partir de lyrics simples, presque comme des slogans (abandon des couplets à cette période), renforçant l’effet hypnotique des compositions. De là, beaucoup de singles sous forme de maxi 45 tours destinés aux DJ. Evidemment, vous y avez pensé : Love to love you Baby de Donna Summer X Moroder en 1975, mais aussi « Fly Robin Fly » de Silver Convention la même année. Puis vient enfin From Here to Eternity de Moroder en 1979.
1980s : L’auditoire est de plus en plus inclus dans ce genre musical. En France, Allemagne ou Etats-Unis, les artistes de l’électroacoustique (c’est la dénomination française mais on trouve la même chose dans les autres pays) se penchent sur les nouvelles possibilités offertes par l’informatique : se crée ainsi un mode original de diffusion sonore grâce à des hauts-parleurs qui immergent davantage le spectateur.
Le grand public conquis SINCE 1990s
Au terme des 1980s, de nouveaux groupes occidentaux émergent, souvent rassemblés sous l’appellation d’Electro Body Music, où les percussions rencontrent les mélodies synthétiques de la pop électro mais aussi les sonorités plus incisives de l’industrielle.
On pense à l’éclosion de la house, qui reste dans cette lignée tout en prenant la voie du succès médiatique en entretenant la culture de la discothèque (inspirations disco et hip-hop ajoutées aux rythmes syncopés de la pop électronique européenne) avec des maxis 45 tours historiques, comme On & On de Jess Saunders en 1983 ou « Move Your Body » de Marshall Jefferson en 1985. Ensuite, des labels de house music new-yorkais tels que Strictly Rhythm et leurs DJ (Roger Sanchez, Todd Terry…) séduisent les discothèques internationales.
De la techno qui nait à Detroit dans les années 1980, aux boites d’Ibiza qui diffusent la house et la techno vers 1985s, jusqu’à initier les rave parties qui finiront par devenir des free parties dans les 1990s (rassemblements organisés en plein air aka Teknival en France), cette fin de XXème siècle fut une réelle émulsion créatrice pour ce vaste style, qui a connu une implosion des genres musicaux à partir de 1993 (multiplication des sous-catégories hétérogènes -pour n’en citer que deux marquantes, la deep-house qui puise son inspiration dans la musique noire américaine, et la drum & bass qui décuple les percussions du funk et hip-hop). Bien que l’on assiste aujourd’hui à une personnalisation dans l’utilisation de ce style, avec des démarches originales de musiciens plutôt isolées plutôt que des groupes affiliés à des écoles catégorisées, l’emprise de ce style sur la jeunesse reste une réalité.
En se propageant dans l’univers pop, la musique électronique a influencé la plupart des domaines artistiques : graphisme, art contemporain, cinéma, BD… C’est tout une culture qui s’est créé autour de ce genre, voire une contre-culture politique. C’est à travers des manifestes, performances ou défilés qu’elle s’est déployée, largement apprivoisée par la communauté LGBTQ et les activistes des free-parties. Par ses sonorités inédites, elle a permis à ces ensembles de se définir un nouveau rapport à l’altérité et au monde.
Retour sur les exportateurs français de la musique
Brève rétrospective dans cette partie de cette scène électronique française dont on peut être fiers.
Marc Cerrone, plus disco qu’électro, a tout de même joué son rôle
47 ans de carrière et plus de 30 millions d’albums vendus dans le monde… Le palmarès musical de Marc Cerrone donne le tournis. Je le cite pour l’influence qu’il a eu sur les compositeurs électroniques, mais aussi pour son autosuffisance très avant-gardiste pour l’époque : lors de son 1er album Love in C minor en 1976, aucune maison de disque ne souhaite le produire à cause de ses sonorités trop inhabituelles, -gémissements féminins- en fond. Il décide de s’autoproduire et c’est un véritable succès : son premier Grammy Award lui est décerné pour cet album en 1977. Cette prouesse lui vaudra d’être l’importateur d’un nouveau genre musical, majoritairement disco mais empruntant à l’électro pour ses fonds sonores. Il va même explorer la « new wave-rock » avec son album Angelina, enregistrée à Hollywood (et oui, les français s’exportent !). Surtout, à partir des 1980s il opte pour beaucoup de collabs avec des grands noms : durant ses concerts-spectaclesqui vont devenir sa marque de fabrique, on trouve des artistes aussi variés que Earth Wind & Fire et Art of Noise sont rassemblés. Il reste une une source d’inspiration inépuisable encore à ce jour.
Jean-Michel Jarre
Jarre est tout simplement le pionner de la musique électronique en France, du moins dans son acceptation moderne. Le premier grand pas fut sa performance à l’Opéra de Paris en 1971, où il introduit la musique électroacoustique. Aussi, sous la direction de Pierre Schaeffer il travaillait au Groupement de Recherche Musicale, où il expérimentait de nouvelles techniques et harmonies sonores. Sa carrière n’a fait qu’évoluer, avec des concerts réunissant de plus en plus de fans, jusqu’à son concert géant dans le Sahara en 2005. Encore actif aujourd’hui, il remasterise ses plus grands succès en tentant d’adapter ses sonorités aux tendances actuelles, et surtout à l’avancée des technologies. Je citerai surtout Oxygène (3), l’album selon moi incontournable et exceptionnellement planant qui le démarque largement de ses compères. Cet album est d’ailleurs évolutif, il l’a modifié à plusieurs reprises pour en faire une trilogie complète en décembre 2016.
Air
Petit passage obligatoire par mon groupe préféré, pour qui tout a débuté au lycée dans les 1980s : Jean-Benoit Dunckel et Nicolas Godin, versaillais de souche, débutent leurs premières expérimentations électroniques avec leur « highschool band ». Après le lycée, c’est Nicolas qui se lance le premier en produisant Modulor sous le pseudonyme de Air, qu’il envoie au label Source. Ce relatif succès le pousse à recontacter Jean-Benoit, son vieux poto, pour une collab. Ils se font d’abord connaître avec des remixes qui font écho à la pop des 1960s, mais aussi une ambiance cinématographiqueaffichée. En 1998 sort le génial Moon Safari, totalement inédit pour l’époque et donc un franc succès : ils y marient la musique électronique futuriste (d’où le moon) aux plus mélodieux instruments traditionnels (d’où Safari). Ils travaillent avec voix d’ordinateur ou samples, mais aussi de vrais instruments, pour un rendu calme et planant. Ils se lancent finalement vers l’international en 2001, avec la sortie de 10.000 Hz Legend où ils collaborent avec The Vagabond pour un son plus instrumental. Et comme tous les grands, ils savent se renouveler et le prouvent avec l’album Talkie Walkie en 2004, dont les sonorités sont plus pop. Désormais cités comme une référence, les deux génies multiplient les featurings : Etienne de Crécy, Fuzati, Charlotte Gainsbourg… Je vous recommande les titres suivants, tous très différents : Le Voyage de Pénélope - Cherry Blossom Girl - Kelly Watch the Stars.
Laurent Garnier, pionnier de la scène techno internationale
DJ et musicien français depuis 1987, il a cofondé son propre label F Communications en 1994. Fortement influencé par les raves-parties britanniques qu’il va fréquenter dans sa jeunesse. Impacté par ces nuits anglaises, lieux de tous les possibles surtout en termes de mix, il va revenir en France avec l’ambition d’implanter ce courant musical britannique sur la scène française : c’est à ce moment qu’il réalise son plus grand chef d’œuvre (selon moi). Il va d’ailleurs publier Electrochoc en 2003,une sorte d’anthologie de la musique électronique.
L’an dernier encore, il a crée seul la bande-son de l’exposition dédiée à la musique électronique à la Philharmonie de Paris. Je vous conseille vivement son album Unreasonable Behaviour sorti en 2000, dont la vitalité et la modernité résonnent comme une ode à l’arrivée de ce nouveau millénaire qui s’annonçait extravagant.
Daft Punk, porteurs de la French Touch
Daft Punk vient de loin, rien que par ce choix initial d’anonymat dès la formation du groupe en 1993. Une manière d’évoluer sans faire de tumulte : Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem-Christo ont su construire leur posture discrète vers une esthétique globale, à la fois graphique, visuelle et scénique. Leur univers puise ses inspirations dans l’ensemble de la culture pop puisque l’on retrouve énormément de références au disco, funk et hard-rock, mais aussi à des arts tels que le cinéma (d’auteur ou de science-fiction de préférence), aux mangas… Ils s’élèvent donc de leur côté, jusqu’en 2001, où ils définissent l’aspect fondateur de leur touche personnelle : deux alter ego robots, comme un hommage aux personnages que des artistes avaient aimé créer avant eux : Bowie et ses incarnations de personnages, ou The Residents, groupe de musique expérimentale par excellence. De manière générale, les hommages sont une manière de créer pour ce groupe : rien que ce concept de casques masquant l’identité est une référence affichée au film Phantom of the Paradise de Brian De Palma, ou les nombreux hommages à Moroder. La profusion musicale qui les caractérise est polyvalente, puisqu’on peut tout autant les qualifier de groupe électro, house et techno que de groove et disco. La French Touch est essentiellement passée par eux : ils ont permis la démocratisation de la musique électronique en France, mais aussi à travers le monde. Petit conseil : cherchez Beyond et Within sur Spotify.
Molecule
Romain Delahaye est le jeune parisien qui lance en 2000. Un véritable alchimiste des temps modernes avec ses multiples casquettes : compositeur, arrangeur, remixeur et surtout fusionneur de sonorités électroniques et acoustiques. S’il a débuté chez lui avec des disques dub/ hip-hop, il se rend aujourd’hui directement sur le terrain, dans des espaces naturels aux bruits inspirants. Fun fact : il a enregistré son dernier album dans l’immensité glacée du Groenland : en partant à l’aventure, il a injecté des sons piochés dans un environnement extrême pour « se pousser dans ses retranchements, cristalliser un instantané de vie dans ce monde glacé ». Il a sorti –22.7°C en 2017, réalisé dans un village du Groenland : entre home studio et aventure, cet album est un coup de force, qui en plus a l’avantage d’être moderne, prouvant que l’électro est toujours d’actualité.
Une sélection de coups de cœur
Je voulais dans cette dernière partie partager mes ressentis à propos des musiques électro qui me bercent depuis plusieurs années. Retour lyrique (je l’espère) sur des chefs d’œuvre à ne pas manquer.
Kraftwerk – the Telephone Call
Ce groupe « robot pop » ou Volksmuzik (musique industrielle et populaire) s’attache à des thèmes modernes tels que les technologies domestiques et le voyage ferroviaire. Je recommande grandement les plus accessibles : « Europe Endless » (pour ceux qui sont partis en Interrail, une épopée sans bornes à travers les confins de notre continent, une poussée musicale qui nous accompagne à chaque déplacement), « Neon Lights », « The Telephone Call » (pour célébrer les débuts du téléphone en 1987, une incorporation des sons d’appels dans le rythme entêtant composé par le groupe ; les lyrics retranscrivent une déclaration d’amour faite par téléphone ; l’homme dévoile ses sentiments et promet d’appeler son amante, mais l’on comprend qu’il parle dans le vide, car comme le dit la voix robotique de fond : « the number you have reached has been disconnected »
Supernature by Cerrone
Oui, j’ai bien conscience qu’il s’agit de l’un des sons les plus connus avoisinant ce courant (pour être juste dans les termes, je ne qualifierais pas cette œuvre d’électro parce que ce sont aussi ses inspirations disco et populaires qui lui donnent sa puissance), mais ce n’est pas pour rien ! 10 minutes et pas une seconde de trop pour ce chef d’œuvre qui repousse les limites du tempo. Son passage dans Climax est épatant : présent dans la première partie du film -celle que l’on peut regarder sans trop d’angoisse- il prend tout son sens avec les danseurs dont les corps sont en communion. Malgré le punch empoisonné qu’ils ingurgitent déjà, cela reste un moment heureux décuplé par ce rythme si entrainant et si voluptueux à la fois. A écouter lorsque vous êtes aux platines ou dans des subways tels que Gare Du Nord ou Chatelet, quand ça grouille de monde et que vous essayez avec rage de vous frayez une place : vous vous sentirez seul contre tous mais si puissant ; suivant la cadence, le pas s’accélère et on oublie son souffle : on serait prêt à tout, avec tout le monde.
Le saviez-vous ? Si Cerrone s’est inspiré de la mythique tribu allemande Kraftwerk et surtout de ses membres visionnaires, Hütter et Florian Schneider, Supernature en a lui-même inspiré plus d’un, dont Daft Punk pour leur génialissime Veridis Quo.
Tropical Disease de Air
Multiples sont les humeurs retranscrites dans ce morceau aérien, justement parce que son tempo varie constamment. On se sent d’abord reposé, on s’élève comme lorsqu’un avion décolle, puis ça s’emballe, c’est le temps des turbulences, et peut-être d’un atterrissage en catastrophe. Les battements sont entrainants, et le piano suit tout ce temps, il semblerait que le pianiste effleure délicatement les touches pour en sortir un éclat aigu. Puis, le dernier ralentissement avant la fin, un dernier rythme s’installe en fond sonore où des lyrics sont introduits, rappelant le message de la chanson : «you make me feel warm inside », comme un amour tropical qui rend moite mais heureux.
Alone in Kyoto
Grands collaborateurs de Sofia Coppola, pour qui ils ont réalisé trois BO (dont celle de Virgin Suicides avec l’album Moon Safari), Alone in Kyoto figure dans la BO de Lost in Translation. Pour avoir eu la chance de me rendre à Kyoto, j’affirme ne pas connaitre de musique qui retranscrive mieux l’ambiance d’une ville que celle-ci. Les nuages nacrés qui tendent inexorablement vers le rose, les rues désertes et étroites, bordées par des restaurants dont les odeurs s’insinuent doucement en vous, et surtout les fils électriques qui relient le ciel de toute la ville en un réseau infini. Elle peut aussi être écoutée sur la ligne 9, direction Nation : les vitres translucides de ce métro parisien offrent toujours un ciel prodigieux.
Jean-Michel Jarre – Robots don’t cry
Jarre, comme Kraftwerk, s’intéresse à la comparaison entre humain et robot. Très séduit par l’idée du clonage, Jarre nous permet d’écouter ce que nos clones d’une autre dimension entendent au quotidien. Ses titres sont évocateurs, comme « Machines are learning » qui sonne comme un avertissement pour les hommes ; il convient de surveiller ces altérités robotiques en constant progrès. De même pour ce génial Robots are learning qui semble reconstituer toutes les données accumulées dont le nombre monte crescendo.. Tout comme le tempo. D’abord lent mais assuré, il progresse et nous emmène avec Jarre, il devient rapidement une course effrénée vers un ailleurs, vers un une nouvelle forme d’humanité…
Make Love de Daft Punk
Un peu dans l’esprit de Veridis Quo (album Discovery), ce morceau électronique/house vient de l’album Human After All paru en 2005. On peut parler d’une véritable mélodie, menée par l’unique phrase des lyrics : « make love », qui est répétée en boucle et nous parvient comme un écho lointain ; une douce injonction à l’amour charnel.
Azure de Paul Kalkbrenner
Producteur et DJ de berlinois qui a d’abord débuté avec la trompette, avant de la compiler sur des platines. Il a rejoint le label berlinois Bpitch Control. Son rôle dans Berlin Calling, (2008) une sorte de biopic, va le rendre célèbre, surtout pour la BO du film de grande qualité, d’où je tire le titre que je vous conseille le plus : Azure. Voluptueux morceau, on y est comme dans un nuage en coton.
Aphex Twin : petit focus
De son vrai nom Richard David James, ce compositeur britannique a contribué à la renaissance du genre ambient auquel il a apporté des tonalités inédites ; des mélodies presque plaintives, avec des climats variables, tantôt inquiétants ou apaisés, comme on le retrouve dans ses prouesses que sont Selected Ambient Works 1 (en 1992) et 2 en (1994). Son talent réside dans sa capacité à se renouveler sans cesse : à l’opposé de ces moods éthérés, il va plus tard travailler sur des musiques énergiques à connotation violente, comme le fond sonore d’une dispute déchirant. Ptolemy est à ce titre un bon exemple (même album que Xtal et Polynomial-C : Selected Ambient Works 85-92)
Giorgio by Moroder
Cet hommage au grand Moroder est parfaitement mené avec une courte autobiographie dans les lyrics : les daft punk ont discuté avec Giorgio de ses débuts dans la musique, et c’est comme s’il nous donnait la clef du succès en décrivant comment il a conçu ses premiers accords mythiques. Moroder voulait créer un album qui mêlerait à la fois les sonorités des années 1950, et le son du futur ; il pense alors à utiliser le synthétiseur : « I knew I needed a click so we put a click on the 24 track which then was synced to the Moog Modular. I knew that it could be a sound of the future… But I didn’t realize how much the impact would be”. Cette confession est suivie d’une instru puissante. Parfaite pour une rencontre entre deux figures de cette ambiance musicale tellement à part.
The Space Between Us par Dominique Eulberg et Gabriel Ananda
Cette musique caractérise tout ce que j’aime dans ce style : des mouvances sonores continuelles, jamais le temps de s’ennuyer en somme. Les montées en puissance sont toujours bien jaugées, par intervalles délimités mais jamais similaires, pas de routine. Le rythme s’intensifie dès 2 :00 mais ce morceau semble pouvoir gagner en puissance de manière infinie.
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