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La soul a trouvé sa reine

  • Victor
  • 21 févr. 2020
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 14 sept. 2020


Aretha Franklin


Parce qu'après avoir parlé du roi il faut parler de la reine, Victor Simon nous apporte une seconde fois sa contribution pour dépeindre la vie d'un pilier de la musique soul aux Etats-Unis. Si vous avez lu le premier article sur notre cher Otis Reeding, king of soul (si vous ne l'avez pas fait, courrez-y car c'est une étape obligatoire de notre site), vous apprécierez cette brillante description analytique du talent de la grande Aretha Franklin, que l'on n'hésite désormais plus à appeler queen of soul. Un bel hommage à une voix sublime disparue il y a maintenant plus d'un an... Et à la clef, plein de suggestions musicales de la part d'un homme qui sait de quoi il parle :)


C'est parti

Je vous propose aujourd’hui une petite retrospective sur l’oeuvre d’Aretha Franklin, surnommée « Queen of Soul ». 75 millions de disques vendus, 18 Grammy Awards, une carrière s’étendant sur 45 ans avec 42 albums studios …the Lady of Soul est la plus grande artiste féminine musicale de tous les temps. De la soul, du funk, de gospel, de jazz de Rnb, c’est l’une des plus grandes voix américaines. Par ailleurs, elle incarne parfaitement la figure de l’artiste engagée avec son implication (parfois malgré elle) dans le combat pour les droits civiques ainsi que pour les femmes. Une vie couronnée de succès mais très tumultueuse, marquée par des zones d’ombres personnelles et un caractère atypique. En quelque sorte, une vie similaire à sa voix: assurée et sereine mais contrebalancée par des élans aigus et dramatiques...


Une carrière exceptionnelle


Aretha Franklin née le 21 mars 1945 à Memphis, ville du Tennessee, berceau du jazz/gospel mais aussi Etat ou règne le racisme et la pratique de la ségrégation à travers la naissance du KKK dans ce dernier. C’est donc cet Etat, dans lequel non seulement tous les espaces publics sont séparés entre blancs et noirs (toilettes, hôtels, restaurants, cimetières…) mais aussi où ressort la violence automatique des blancs sur les noirs, que Aretha Franklin quitte avec sa famille pour aller vivre à Détroit dans le Michigan. Fille d’une grande pianiste et d’un pasteur libéral, elle perd sa mère à 10 ans. Son père est une voix majeure de l’Amérique noire dans les années 50 et reçoit chez lui des chanteurs tels que Dania Washington, Billie Hollyday… C’est dans cette environnement d’ouverture d’esprit que Aretha Franklin commence très jeune à jouer du piano et à chanter dans les différentes tournées organisées par son père.


C’est dans l’idée de devenir une grande chanteuse de jazz qu’elle signe chez Colombia en 1960. Néanmoins, c’est sa signature chez Atlantic qui marque un tournant pour sa carrière. Jerry Waxler, producteur ayant crée la dénomination « Rythm’n Blues », ambitionne pour Franklin d’imprimer la transcendance du gospel sur une musique « profane » et populaire, entre blues et soul. Pour mettre en scène cette vision, Aretha s’assoie et chante devant un piano, un peu à la Ray Charles. Pour reprendre les dires de Waxler, Aretha a repris la « sécularisation du gospel » qu’avait débuté Ray Charles, à savoir prendre les mélodies, les rythmes du gospel en mettant les « mots du diable » dessus. A partir de ce moment là, la carrière d’Aretha décolle. C’est en retournant dans le Sud pour enregistrer son album I never loved a Man the way I love you (avec un orchestre complètement blanc par ailleurs) que les sons d’Aretha les plus célèbres naissent. On peut citer Chain of Fool, Think ou bien sûr (You make me feel like) A natural women. Sa célébrité devient exceptionnelle, c’est à ce moment qu’on lui attribue le titre de « Queen of Soul ». Elle devient la première femme noire à figurer sur le première page du Times (1968). De plus, plus tard, ce sera la première artiste noire à dépasser Elvis Presley dans les classements (ventes et écoutes).

En 1972, elle sort l’album Amazing Grace, une sorte de retour aux sources avec un album exclusivement consacré au gospel. Cet album est l’un des albums les plus vendus de l’histoire du gospel avec plus de 2 millions d’exemplaires. Il est, à mes simples oreilles de passionné, le plus bel album de gospel de l’histoire (petit conseil: écoutez Mary, Don’t you Weep)


Cependant, vers le milieu des années 70, le succès d’Aretha décline et cette dernière, à travers de graves problèmes conjugaux (mari violent et infidèle), sombre dans la dépression, l’alcool, le tabagisme et la boulimie. Aretha Franklin a connu une vie très difficile avec la mort de sa mère, la naissance de son enfant à seulement 13 ans, la mort de son père dans des conditions très éprouvantes, la mort de ses frères et soeurs. Une vie comblée de deuils et de tristesse qui peut expliquer ses mauvaises habitudes et ses mauvais choix.

La carrière d’Aretha se relance dans les années 80 avec son apparition dans le film « Les Blues Brothers ». Elle signe avec le label Arista et effectue un relifting musical. Voyant son aura baisser, elle décide de privilégier le succès commercial aux bases de sa musique, avec des collaborations prestigieuses mais pas dans réellement dans sa nature (I knew you were waiting ft G. Micheal).

S’en suit alors une longue fin de carrière avec quelques albums sans réel succès. On pourra quand même noter ce magnifique moment lors de cérémonie d’investiture d'Obama en décembre 2015 durant laquelle elle chante A natural Women, moment émouvant puisque le Président des Etat-Unis se met à pleurer.

Malheureusement, atteinte d’un cancer du pancréas depuis 2008, Aretha Franklin annonce la fin de sa carrière en 2017 et décède un an plus tard le 16 aout 2018.


Aretha Franklin, figure du féminisme et du mouvement afro-américain malgré elle


Lorsque l’on interroge l’auteur de Chain of Fools, Don Covay explique que cette musique parle d’esclaves dans des champs de coton qui veulent se libérer des chaines. Pourtant Aretha quant à elle n'y voit qu'une musique parlant d’une femme amoureuse trompée et maltraitée par un homme et qui cherche à sortir de son emprise en brisant des chaines. On a ici le paradoxe de l’oeuvre d’Aretha Franklin : des chansons devenues symboles de causes qui dépassent l’idée originale de la chanteuse. Cette dernière n’a pas toujours pris conscience de la portée politique de paroles écrites par d’autres.

Il ne s'agit évidemment pas de dire qu'Aretha n’était pas préoccupée par la cause noire américaine. Elle s’est produite de nombreuses fois auprès de Martin Luther King et s’est positionnée, plus tard, clairement pour les mouvement afro-américains. Il est simplement objectif de dire qu'Aretha Franklin n’a jamais voulu être une figure d’une cause. Elle voulait être une star et appréciée du public, cela lui suffisait. Par ailleurs, il est assez paradoxal qu’elle soit devenue une figure féministe alors qu'elle-même avait une vision du couple très conservatrice (l’homme dirige, la femme s’occupe des enfants). On a donc ici un exemple très intéressant de l’oeuvre qui dépasse son créateur et prend une toute autre dimension. Pour preuve, si on s’intéresse à Respect, la chanson qui est le cri de guerre pour le mouvements des droits civiques et de l’égalité des femmes, on a encore une fois cette idée de décalage entre l'idée de départ et la symbolique de fin. En effet, Aretha Franklin explique dans une interview de 1999 que lors de l’enregistrement, cette musique avait pour objet les relations entre personnes de manière générale, des relations qui doivent se traduire par un respect mutuel. Ce sont le contexte et les mouvements sociaux à la recherche du respect des blancs pour les uns et celui des hommes pour les autres, qui se sont appropriés cette chanson pour en faire un hymne contre la ségrégation et les inégalités hommes-femmes. C’est aussi ça le pouvoir de la musique, le pouvoir de faire d’une chanson, par forcément écrite dans cet objectif, un symbole de lutte et de rassemblement. Il ne faut pas chercher une conscience politique à Aretha Franklin mais plutôt un bon sens et une rationalité du militantisme de tous les jours. Ainsi, on peut dire que sans l’avoir voulu (pendant sa carrière), Aretha est devenue une figure de mouvements tels que les droits civiques et du féminisme.


Attention, il n’est cependant pas mon propos de dire que Aretha Franklin était égoïste et sans convictions. Elle s’est engagée dans de nombreuses causes en donnant beaucoup d’argent à des associations de défense des Nativs Americans, des églises, des écoles, aux sans abris. Elle a aussi défendu Angela Davis lors de sa mise en prison injuste. Néanmoins, elle n’utilisait simplement pas la musique pour défendre les causes qui lui sont chères.


Pour conclure, le choix des mots de Barack Obama pour rendre hommage à la diva de Détroit lors de sa mort est parfaitement trouvé : « Aretha a contribué à définir l'expérience américaine. Dans sa voix, nous pouvions ressentir notre histoire, toute notre histoire et dans toutes ses nuances - notre puissance et notre douleur, notre obscurité et notre lumière, notre quête de rédemption et notre respect durement acquis. Que la Reine de la soul repose dans la paix éternelle »

Aretha Franklin, une figure emblématique de la musique afro-américaine malgré elle, qui a permis à des luttes de se réunir autour de ses musiques et ainsi que de sa personne pour l’ériger en symbole. C’est aussi ça la naïveté des génies…


NB: A défaut d’être original cette fois-ci, je vous conseille I say a Little Prayer, une musique entraînante et touchante avec un fond de gospel tellement appréciable



Pour la photo de miniature :

Toute une vie, Aretha Franklin (1942-2018), une quête insatiable, France Culture


Sources:

Cachin Olivier, Soul for One, éditions La Martinière, 2011

Cohen Aaron, Aretha Franklin Amazing Grace, éditions GM, 2020

Danchin Sébastien, Aretha Franklin: portrait d’une natural woman, éditions Buchet-Castel, 2018

 
 
 

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