Myth Syzer : le kitsch pour abattre les frontières
- Camille
- 7 nov. 2018
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 sept. 2020

Par Camille Buonanno
Alors que le beatmaker prend une place de plus importante ces dernières années dans le milieu du rap mais aussi dans presque tous les genres musicaux en voici un qui, tout en conservant de producteur, décide de prendre un virage artistique en devenant chanteur, ou plus exactement « top liner » comme il le précise dans ses interviews pour son dernier projet Bisous, une mixtape de 13 sons sortie le 27 avril 2018.
Bilan 8 mois après la sortie de ce bijou ensoleillé aux ambiances kitsch et pourtant fabuleusement avant gardiste.
Une vocation d’artiste depuis toujours
Tout d’abord, retour rapide sur la vie de cet artiste jusqu’alors très en retrait de la scène médiatique et pourtant très présent dans le monde de la musique. Originaire de la Roche-sur-Yon, petite commune de Vendée, où il évolue d’abord en solo jusqu’à sa rencontre avec Ikaz Boi. Beatmaker de talent lui aussi, cette rencontre va être déterminante dans la carrière de Syzer et le pousser à se lancer définitivement dans le musique. Contraint de voler les CD de son grand frère pour écouter de la musique (ce qui au lieu d’être un frein provoque chez lui une grande curiosité et accentue son penchant pour la consommation massive de musique) il écoute très jeune beaucoup de Hip-Hop et de rap US. Mais ses influences, bien que majoritairement situées dans le rap sont diverses. S’il tire son nom de scène d’un titre du compositeur, producteur, disc jockey, rappeur et chanteur américain, J Dilla (membre du groupe Slum Village jusqu'en 2001), il admet que son premier coup de coeur musical fut Michael Jackson. Dans son enfance, c’est toutes sortes de styles qui résonnent dans la maison de Thomas Le Souder de son vrai nom. Allant de Joe Cocker, icône du blues, à Erik Satie pour ce qui est du classique en passant par de la variété française avec Eddy Mitchell, on observe un palette éclectique dans la culture musicale du jeune producteur qui se ressent dans ce premier projet.
Rapidement, (dès le collège), il comprend que sa vocation est de travailler dans la musique même s’il ne sait alors pas vraiment quel chemin emprunter. Dans une interview, il révèle que c’est Chronic 2001 (album de Dr Dre) qui va créer chez lui le « déclic » et le propulser vers une carrière de beatmaker. Après sa rencontre donc avec Ikaz Boi il décide de s’installer à Paris ce qui va marquer un tournant dans sa vie en terme de rencontres et d’opportunités. Il va notamment travailler en collaboration avec le rappeur Joke qui à l’époque a déjà une petite exposition dans le milieu et lui permet de se faire une place petit à petit sur la scène parisienne.
Un producteur sans frontières
Une fois à Paris il va faire deux rencontres majeures qui vont orienter définitivement sa carrière artistique : Loveni et Ichon, deux rappeurs parisiens avec qui il va créer le groupe « Bon Gamin ». Bien qu’ils mettent du temps à sortir des projets le groupe commence à se forge une identité et prend de plus en plus d’importance. Parallèlement à ça, la qualification « producteur sans frontières » (donnée dans son interview chez Grünt) attribuée à Syzer, prend tout son sens puisqu’il réalise un premier projet outre-Atlantique avec un rappeur américain. En 2011, il sort son premier projet Fleep sur un label parisien puis 9 novembre 2013, le projet zeRO un 8 titres comprenant 6 pistes instrumentales. Puis il enchaîne les apparitions sur de nombreux morceaux de Bon gamin mais pas seulement. On peut le retrouver sur le premier album P-Town du rappeur Jazzy Bazz avec le son Adrénaline, sur le son Vakesso du groupe de cloud rap TripleGo, ainsi que sur plusieurs titres d’Hamza, Prince Waly, ou encore OBOY.
Une double casquette
À la fois producteur et top liner (en gros celui qui écrit la mélodie vocale et les paroles par-dessus une instrumentation ou un beat), Myth tient les rênes de ce projet et sait où il veut aller. D’un point de vue lyrical on peut pour moi résumer l’album par la phase de Doc Gyneco (dont soit dit en passant il réussit à faire renaitre le génie porté disparu depuis un moment..) dans le son « La Piscine » cité plus haut: « les mots sont simples et le message et clair ». En effet, comme il le confie dans son interview sur La Sauce, pour lui les refrains sont la clé de la réussite d’un bon morceau. Il va droit au but, et bien qu’il collabore avec des rappeurs sur chaque son la dynamique n’est pas du tout la recherche d’une quelconque « technique rapologique » ou de faire ses preuves mais bien de transmettre et susciter des émotions et des atmosphères ce qu’il réussit à merveille. La meilleure incarnation de cette réussite reste pour moi le morceau « Sans toi » avec Hamza qui, bien qu’il ne brise pas complètement le style du Saucegod, il l’emmène sur un terrain nouveau musicalement. Car oui si le texte est simple et efficace le travail des productions est minutieux et extrêmement riche. On retrouve sur plusieurs sons des onomatopées inhabituelles (écoutez bien dans Coco Love et Austin power) qui donnent une couleur originale et unique.
Amour e(s)t kitsch
Mais la formule « sans frontière » évoquée plus haut, va au delà de la dimension géographique. Elle a une forte signification artistique, en effet, Syzer prend un véritable risque sur ce projet Bisous par rapport à ce qu’il avait pu produire auparavant. Tout d’abord simplement au niveau du style très rétro, avec des synthé qui sonnent 80s, doublé d’un style vestimentaire vintage dans la plupart des clips. Syzer, aidé des deux photographes qui dirigent toute la DA visuelle du projet, construit une imagerie hyper « glossy » autour de l’album. Particulièrement dans le clip du son « Le Code » penchant même vers une ambiance feux de l’amour, ou dans le clip du titre « La Piscine » en collaboration avec le Doc. Cette ambiance ultra vintage vire parfois au kitsch dans ce qu’il a de plus doux et cependant Myth parvient à y ajouter une touche de modernité avec les nombreux featuring avec des rappeurs, des beats en réalité très actuels ainsi qu’une maitresse incontestable de l’auto-tune (à en faire pâlir les plus gros puristes). Cette ambiance est par ailleurs présente dès la cover. Myth Syzer refuse catégoriquement une photo de lui qui pourrait « mal vieillir ». Il lui préfère une photo nature morte où, comme il l’explique, « le vase est brisé mais la fleur est intacte ». Cette métaphore de sa situation amoureuse est un fil conducteur thématique et esthétique tout au long de l’album.
La rose rouge symbole de l’amour est tombée sur le bleu du sol avec lequel elle contraste et son vase s’est brisé en mille éclats.. Oui, plus simplement Syzer traverse une rupture amoureuse qu’il soigne avec les douceurs de la musique et du rap. Vous l’aurez donc compris le thème principal est l’amour et par dessus tout l’amour déçu. C’est pourquoi on a selon moi une forme d’ambivalence dans le projet. À la fois des morceaux à la couleur ensoleillée et estivale comme Coco Love (une pépite incroyable d’ailleurs en feat avec Ichon) , «La Piscine», « Austin Power» qui montre que Syzer tente d’oublier son chagrin et vivre un été apaisé. Mais d’un autre côté, la mélancolie le rattrape sur d’autre tracks : Tocard, Voyou, Météo, Coeur Brisé et par dessous tout Le Code où il supplie sa dulcinée de lui donner le code pour monter à son appart (scène qu’il dit avoir vraiment vécu).
Seule exception à cette dualité, le morceau final « Ouais Bébé » avec Roméo Elvis et Ichon, dans une atmosphère beaucoup plus sombre que l’ensemble de la mixtape. À en croire Syzer il annoncerait la couleur musicale du prochain projet Bisous mortels qui sortira en novembre. Projet à suivre de très près avec des gros featuring notamment Di-Meh, Slimka, Ichon, Loveni ..
Après la réussite de Bisous et la visibilité qu’il a donné au collectif Bon Gamin, il n’y qu’à espérer que Bisous mortels fasse de même car ces artistes méritent vraiment le devant de la scène.
⚠️ PS : Je tiens seulement à rajouter que Myth a sorti avant Aya Nakamura la phase « t’es la plus belle, la plus belle de tes copines » dans le titre « Austin Power »avec la fabuleuse Lolo Zouaï . Si après ça vous avez toujours pas envie de découvrir quel artiste peut précéder celle qu’on nomme la Beyoncé française franchement je sais plus quoi faire !
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