Nina Simone : la soul prend les armes
- Victor
- 13 avr. 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 sept. 2020
Embarquez-vous pour un article qui retrace fidèlement l'engagement politique de l’incontournable reine de la musique afro-américaine, qui en a fait tellement pour les genres musicaux que sont la soul, le jazz, le gospel ou encore le blues. Elle a su se servir de la musique comme d'une arme pour faire avancer sa cause: à savoir l'amélioration des droits civils pour les noirs américains qui subissaient un fort racisme aux Etats-Unis (comme ailleurs).
“I m a real rebel with a cause” disait Nina Simone. Lors de mon dernier article, je vous parlais d’Aretha Franklin dont l’œuvre était devenue un symbole des luttes sociales malgré-elle. Avec Nina Simone, je vais vous présenter un parfait contre-exemple à savoir lorsqu’une artiste et son œuvre embrassent totalement une lutte. Révolutionnant musicalement la soul tout en amenant le militantisme à l’extrême, voici le portrait parfait de l’artiste engagée. J’anticipe par avance la critique qui me sera probablement faite d’associer Simone à la soul plutôt qu’au jazz. Je me justifierai simplement en rappelant que Simone n’a cessé de naviguer entre le jazz, le gospel, le RnB, le blues, la soul... Elle ne peut donc pas se ranger si facilement dans une case même si ses débuts sont indéniablement dans un style jazz. Enfin, ses morceaux militants auxquels nous allons nous intéresser s’apparentent plus à des morceaux de soul. Des Sonates de Beethoven à Feeling good : la soul en Sol majeur Avant de parler des engagements militants voire politiques de Simone, il faut parler de sa musique et comment cette grande dame a révolutionné la soul. Pour comprendre cela, il faut revenir à son enfance et s'intéresser à sa formation musicale très classique. C'est vraiment quelque chose de très important qui va être la source de toute la musique de Simone, que ça soit à travers le jazz ou à travers la soul. Cette touche classique, légère ou plus prononcée selon ses envies, va rester le dénominateur commun de la plupart de ses morceaux. C’est en Caroline du Nord que Nina Simone, de son vrai nom Eunice Kathleen Waymon, commence à apprendre le piano à l’âge de trois ans, grâce à une professeur, Miss Mazzy, que Nina surnommera plus tard « my white momma ». Elle montre des prédispositions incroyables pour la musique classique en s’imprégnant des grands morceaux classiques ; bien que privilégiant l’œuvre de Bach, son compositeur préféré. Ayant comme ambition de devenir la première concertiste noire des États-Unis, elle intègre la Julliard School of Music à New York afin de passer le concours de l’Institut Curtis. Malheureusement, elle n’est pas admise. Inutile de préciser qu’elle était la seule élève noire de sa promotion, je vous laisserai donc faire le rapprochement entre sa couleur de peau et son résultat obtenu au concours, dans un contexte de ségrégation raciale … Ainsi, vous comprenez maintenant que, avant d’être une grande chanteuse, Nina Simone était une pianiste classique de grand talent. Cependant, elle n’a d’autre choix que de se tourner vers le jazz puis vers « la musique du diable » à savoir la soul. C’est à ce moment-là qu’elle choisit de porter un surnom, Nina pour « niña » surnom donné par son petit ami et Simone en référence à l’actrice Simone Signoret, afin de cacher son activité à ses parents qui étaient très croyants. Très brièvement, on peut caractériser son début de carrière dans un style jazz avec son interprétation de I love you, Porgy puis de son premier album Little Girl blue (1958). S’en suit les succès bien connus tels que I put a spell on you, my Baby Just Cares of Me, Foorbidden Fruit, Feeling Good…Dans la plupart de ces morceaux ainsi que ceux qui vont suivre tout au long de sa carrière, on peut distinguer la touche classique de Nina Simone. C’est cette touche qui révolutionne la soul en raison de sa nouveauté et de son audace. Personne n’avait jamais encore eu le cran ou l’idée d’associer des chansons de gospel, de blues et de soul sur une musique classique. On arrive alors à un résultat inédit qui montre bien la complexité de la musique de Simone. Avant-gardiste et inclassable, elle mélange les styles en passant du jazz, à la soul ou à la pop… La chanson la plus caractéristique de cette signature musicale est Love me or leave me dans laquelle, Nina Simone joue une partie instrumentale comparable à une fugue de Bach, tout en gardant un vocal jazz.
Le militantisme destructeur : de l’engagement au renoncement Parler d’engagement pour Nina Simone la mettrait en colère, il est plus opportun de parler de militantisme et encore… Sans vouloir faire de psychanalyse clichée, cette volonté de lutte contre la ségrégation raciale peut s’expliquer par deux événements qui ont considérablement marqué la chanteuse. A 12 ans, lors de son premier concert dans l’église de son village, ses parents sont placés au fond de la salle pour laisser la place à des blancs au premier rang. Bien que Nina ait obtenu gain de cause en refusant de jouer tant que ses parents ne retrouvaient pas leur place, cet épisode l’a fortement marqué. C’était la première fois qu’elle était directement et personnellement victime de la ségrégation. Le deuxième évènement est son échec au concours de l’Institut Curtis qu’elle vécut comme une injustice et une humiliation, le racisme lui ayant brisé son plus grand rêve : devenir la première concertiste noire des États-Unis. C’est cette amertume et cette haine personnelle qui ont pu contribuer au basculement vers le militantisme. Mais c’est en 1963, lorsque trois enfants noirs sont assassinés par une bombe en Alabama que la conscience politique de Nina Simone sent le besoin de se réveiller. La chanteuse rejoint le mouvement des droits civiques, côtoient les grandes figures intellectuelles tels que Malcom X, Luther King, Angela Davis et utilise sa musique comme une arme, à défaut de pouvoir prendre les vraies. Elle compose la musique Mississippi Goddam, en hommage à Medgar Evers, militant des droits civiques assassiné en 1963 par le KKK. Le titre que l’on peut traduire par « bon dieu » ou « putain » donne déjà la couleur. Un cri de rage de Simone face au racisme et la ségrégation avec des paroles très crues. Cette musique est censurée dans 7 États et coupée à certains endroits. Elle devient l’hymne du mouvement des droits civiques. Dans le même style de musiques engagée vous pouvez retrouver To be Young, Gifted and Black ou Four Women pour la cause féministe. Ces musiques lui posent un véritable problème dans sa carrière puisque les promoteurs les estiment trop polémique et ne lui louent plus de salles. Le militantisme de Nina commence à freiner sa carrière. Cependant, il devient extrémiste quand elle apprend la mort de Martin Luther King en 1968. Après avoir chanté Why (The King of love is dead) qui rend hommage à la mort du leader des droits civiques, elle radicalise sa conscience politique en affirmant son soutien à la révolution par la violence, la lutte armée et la nécessité d’un État distinct. Dans un concert à New York relevant plus d’un meeting politique, elle déclare « Vous êtes prêts à démolir le monde blanc, à incendier les bâtiments ? Vous êtes prêts ? Vous êtes prêts à construire un monde noir ?» (1969). Il convient de préciser que Nina Simone ne s'est jamais montrée raciste et n'a jamais porté aucun discours de haine raciale; elle s'évertuait seulement à dénoncer celui qu'elle subissait. Si ses discours et ses paroles furent parfois virulents, ce fut uniquement dans le but de choquer et ainsi de retenir l'attention, dans l'espoir que son cri, ce cri qui fut aussi celui de milliers d'autres, soit enfin entendu. C'est avec sa voix cristalline qu'elle a su bouleverser et sensibiliser un peu plus la population à la lutte pour l'égalité raciale.
Mais face à la guerre du Vietnam et à l’essoufflement du mouvement des droits civiques, Nina Simone lâche prise fatiguée, désespérée et renonce à son activisme militantiste dans les années 70. Sa carrière et sa vie familiale, au bord du gouffre, elle renonce à tout et quitte les États-Unis qu’elle appelle désormais les « Uniteds snakes of America ». Pendant 20 ans, elle va errer en passant par la Barbade, au Libéria, aux Pays-Bas puis à Paris. On peut d’ailleurs noter un paradoxe lors sa vie au Libéria. Alors qu’elle s’est battue tout le long de sa vie pour l’égalité entre les hommes, elle part vivre consciemment dans une aristocratie afro-américaine qui domine la population africaine locale. On voit finalement ici le symbole de la fin de son parcours militant, passé initialement d’un militantisme absolu, indispensable voire extrémiste à un renoncement et une passivité consciente.
Nina Simone est l’une des plus grandes artistes de la musique afro-américaine du XXème siècle. Elle incarne parfaitement la dimension militante de l’art et de l’artiste. Une dimension qui me tient particulièrement à cœur puisque j’admire ces artistes qui, alors qui n’en n’ont pas l’obligation, font de leur art un instrument de lutte pour le bien commun parfois même au détriment de leurs intérêts personnels. J’ai choisi de vous proposer la chanson Dont’let me be misunderstood pour finir. Une belle chanson dont le titre contraste avec Simone qui a été incomprise tout au long de sa vie sentimentale, se sentant finalement terriblement seule. Un clin d’œil aussi du destin puisque Simone a été diagnostiquée très tardivement bipolaire or c’est compliqué de comprendre et de se faire comprendre lorsqu’on est atteint de cette maladie.

Nina Simone au piano, © Getty / Michael Ochs Archives
Victor Simon
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