TRINITY, DANS CETTE VIE OU DANS UNE AUTRE C’EST TROP LA MERDE.
- Mathieu
- 2 mars 2020
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 sept. 2020
Article écrit par Mathieu Porcher.
LAYLOW, RAPPEUR DIGITAL
« Bah ouais mec, bien sûr que le jeune tiss-mé revient ».
Il nous avait prévenu dans MEGATRON, il a tenu promesse. Vendredi dernier est sorti le dernier album de Laylow. Artiste originaire de Toulouse, Laylow est un artiste atypique et rare dans le paysage du rap français. En effet, âgé de 26 ans, il compte quatre projets à son actif : Mercy en 2016, Digitalova en 2017 et .RAW et .RAW-Z en 2018, qui ont su imposer et consolider un style atypique. Laylow, c’est une empreinte, un style à la fois mélancolique et extravagant, entre récits de déceptions amoureuses et égotrip bling-bling. Le tout souvent appuyé par une autotune grésillante et sombre, parfois poussée à l’extrême. L’artiste définit d’ailleurs lui-même son univers comme “un monde digital [son propre label s’appelle Digital Mundo et sa chaîne Youtube DigitalTV] et sombre, teinté de mélancolie et irrigué par l’amour”. Mais surtout, c’est son univers futuriste soigné qui lui permet de se démarquer.
En 2016, le morceau 10’, confessions d’un homme qui se rend compte de la dégradation de ses sentiments pour sa partenaire, marque le premier succès d’ampleur de l’artiste, et reste à ce jour son clip le plus vu sur Youtube. Ce premier morceau, et globalement l’ensemble du projet Mercy, saura attirer une fanbase fidèle à l’artiste, qui ne fera que s’agrandir au fur et à mesure des années et des projets.
Jusqu’à la sortie de ce premier album. Après une absence de près d’un an à la suite de RAW-Z, l’artiste toulousain revient avec un premier single intitulé MEGATRON fin 2019. Directement, et il le répète, la pression augmente. Refrain chuchoté, instru brute à la Kanye West : l’expérimentation n’a jamais été aussi poussée. Ce premier single frappe ainsi par l’absence de mélodie et le rythme très étouffant de son instrumentale. L’auditeur est directement pris à la gorge dans le nouvel univers musical proposé par Laylow. Mais outre le morceau, c’est surtout le clip qui frappe par la qualité des plans, des visuels, des couleurs et du jeu d’acteur. Il l’a confié en interview, Laylow est un grand fan de cinéma et notamment de films de science-fiction, et cela se voit à travers l’esthétique visuelle et musicale qu’il a construit depuis maintenant quatre ans. Bien qu’indépendant, il n’hésite ainsi pas à investir des gros budgets dans la production de ses clips.
Cela se confirme à la sortie du second single intitulé TRINITYVILLE, encore une fois accompagné d’un visuel soigné, futuriste et sombre. Ce morceau, très efficace, précède l’annonce tant attendue par les fans. Ce premier album sera intitulé TRINITY. Ce nom fait évidemment référence à la saga culte de films de science-fiction Matrix, dans laquelle Trinity joue le rôle d’une hackeuse, montrant à Néo que le monde dans lequel nous vivons n’est qu’illusion. Laylow rend ici un hommage au film qui lui a fait adorer le cinéma, et qui a changé sa perception de la réalité, comme il l’a dit dans une interview pour les Inrocks. A tel point qu’il réalise aujourd’hui lui-même ses clips avec son compère Osman, joue dans ses clips des rôles toujours plus fous, et participe même au montage des visuels.
TRINITY, LOGICIEL DE STIMULATION D’EMOTIONS POUR REPARER LES CŒURS CASSÉS
Et puis le vendredi 28 février vient la sortie de cet album de 15 titres échelonnés par les apparitions de Spri Noir, Jok’air, Lomepal, Alpha Wann et Wit. Et Laylow nous prévient d’emblée : « Essayez de l’écouter dans le bon ordre, c’est important ». Alors, il ne vous reste qu’à mettre vos écouteurs, à lancer le premier morceau, et à être happé directement dans la matrice, introduite par la voix robotique d’une femme qui nous accueille dans le monde de TRINITY.
Le début d’album nous décrit alors une réalité nocturne et triste : à la suite de MEGATRON vient DEHORS DANS LA NIGHT, morceau structuré en deux parties, teinté d’ennui, dans lequel Laylow nous emporte dans les méandres de son esprit. Il raconte ainsi le quotidien d’une jeunesse qui cherche à s’en sortir et à tuer le temps malgré cette mélancolie « l’alibi c’est chercher le bif, la vérité c’est qu’on cherche juste à vivre ».
Le logiciel se rend compte des pensées obscures de Laylow « vous m’avez l’air bien mélancolique ce soir » et propose à Laylow d’oublier ses idées noires. La réalité morose se mue alors en un monde illusoire bien plus joyeux et on se retrouve tout d’un coup en balade sur les montagnes, accompagnés par Spri Noir, dans un énergique morceau intitulé HILLZ. La soirée bat son plein, et Laylow y fait la connaissance de Trinity, femme mystérieuse qu’il va rejoindre dans PLUG [en featuring avec Jok’air]. Dans le monde imaginé par le logiciel s’entame une histoire d’amour entre Laylow et Trinity, à la fois tonitruante voire violente dans PIRANHA BABY mais aussi passionnée et charnelle dans TRINITYVILLE.
Et puis, le rêve digital est brutalement interrompu par l’irruption d’un sans-abri demandant à Laylow de quoi se nourrir. Nous voici de retour dans le monde réel, dans ce qu’il a de plus misérable. La violence des morceaux qui accompagne ce retour hors du logiciel est frappante. Dans VANOMOS, les couplets de Laylow puis du GOAT Alpha Wann viennent illustrer la cupidité et l’égoïsme d’un monde qu’il vaut mieux « ne pas regarder », tandis que Laylow se prend à flirter avec d’autres femmes dans AKANIZER, dans des histoires qu’il qualifie de « pas très catholiques ». A la fin du morceau, il veut se reconnecter à Trinity, mais cela ne fonctionne pas à cause des aventures de l’artiste. Pire, le logiciel crashe et les données sauvegardées entre les 2 amants sont supprimées.
Conscient d’être en train de déraper dans cette réalité qui ne lui convient pas et de perdre les liens qu’il a avec Trinity, le morceau BURNING MAN avec Lomepal nous ramène à un état de mélancolie et de solitude profond, celui d’un homme en détresse qui est en train de perdre pied et de se brûler les ailes (d’où le titre).
Finalement Laylow parvient à se reconnecter à Trinity et s’ensuit alors un morceau bien plus introspectif avec LONGUE VIE… Cependant, le fait que Trinity ait réinitialisé le système ne lui plaît pas, et il le confesse « Mes sentiments diminuent, diminuent, diminuent ». Enervé, il demande alors à Trinity de le déconnecter encore une fois, alors que celle-ci tente de le retenir. A contrecœur et attristé, le logiciel cède finalement et nous voici encore une fois de retour dans le monde réel... monde dans lequel le sans-abri fait son retour et vient raconter sa déchéance. Cette vie, commune à des milliers d’histoires sur Terre, est tellement terre-à-terre qu’elle vient contraster violemment avec les sentiments digitaux de Laylow. Dans le morceau …DE BATARD, Laylow et Wit., compères de toujours, viennent nous raconter la malheureuse histoire de ce sans-abri, dans une ambiance musicale très old-school qui vient contraster avec le reste de l’univers futuriste de l’album.
Laylow se rend alors compte que la vie dans le logiciel, bien qu’imparfaite, reste bien meilleure que celle qui l’attend ici-bas. Il tente alors de se reconnecter, mais Trinity le repousse violemment.
Une prise de conscience s’opère alors dans son esprit, et l’artiste confesse se demander « s’il n’est bon qu’à faire le mal » dans POIZON. Cette remise en question se poursuit dans NAKRé, où Laylow exprime pour la première fois des regrets vis-à-vis de Trinity : « en fin de compte, je suis navré ». Il le témoigne aussi, son malheur le poursuit, sur Terre comme sur Trinity « dans cette vie ou dans une autre, c’est trop la merde ».
La tentative de reconquête de Trinity se poursuit par MILLION FLOWERZ, où Laylow tente d’exprimer ses regrets, et de récupérer Trinity, en espérant qu’elle n’a pas refait sa vie ailleurs. Il parvient une dernière fois à se connecter au logiciel, mais Trinity lui explique qu’elle n’est rien de plus qu’un logiciel et qu’ils n’ont finalement rien vécu de concret ensemble.
L’album se clôt alors sur LOGICIEL TRISTE, qui laisse place à un Laylow solitaire et désespéré. Trinity s’autodétruit, et avec lui, ses espoirs. Le digital est mort, et Laylow reste coincé dans notre monde et son accablante réalité.
UN OVNI DANS LE PAYSAGE MUSICAL ACTUEL
Toute la beauté de cet album réside dans sa complexité, et si l’histoire que je vous ai racontée est une interprétation personnelle, elle n’est peut-être pas celle que Laylow a vraiment voulu nous raconter. Toujours est-il que ce premier album, ultra dense et ambitieux, est un OVNI dans le rap français, notamment dans sa construction et dans la qualité de ses transitions. Laylow parvient ici à nous livrer un projet homogène, plongé dans son esprit et ses questionnements, le tout dans une esthétique de science-fiction hyper bien maîtrisée. La production saturée et diversifiée est assurée en grande partie par Dioscures, et sert parfaitement les différents états d’esprit de l’artiste, de la mélancolie à la colère, le tout dans un climat de violence ambiante.
Ne reste plus qu’à espérer que cet album ait la réception et l’audimat qu’il mérite, car son ambition et sa direction artistique pourraient potentiellement représenter un tournant dans le paysage urbain français. C’est en tous cas tout le mal que l’on peut souhaiter au cœur cassé de Laylow.

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