Une brève histoire du cloud rap
- Alban
- 28 oct. 2019
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 14 sept. 2020
Wesh la sphère!
En ces temps ombrageux, pluvieux, typhonesques même, le froid et la grisaille s’installent. Pour les plus connaisseurs d’entre vous, c’est donc le moment de ressortir vos meilleures titres de TripleGo, notamment dans leur album de 2017 2020 -un album a rarement aussi bien porté son nom-. Cloudy comme un ciel parisien d’octobre, tout ce qu’on aime. Pionniers du genre cloud rap, ils ont su rester au top depuis déjà 2013.
Mais c’est quoi le cloud rap en fait?
Cet espèce de bébé mutant, vilain petit canard du rap américain de la fin des années 2000, est aujourd’hui super populaire depuis 2 ans. Il est difficile de le qualifier de style musical à part entière, car les caractéristiques techniques sont assez diffuses. Au niveau de l’instru, ce qui rapproche tous les sons du mouvement, c’est la maxi diversité des samples. Ça sample tout et n’importe quoi, d’un son de jeu vidéo à une mélodie de Chopin à des bruits d’oiseaux ou de pluie, le tout sur des kicks de trap à la sauce Atlanta made in Roland (même si aujourd’hui c’est plus forcément le cas).
Niveau paroles, on peut dégager des grandes thématiques : la drogue, le sexe, la religion et la dépression, mais surtout la drogue. Vous l’aurez compris, c’est un sacré foutoir. Ce qui définit le mouvement, c’est ces mélodies aériennes, une rythmique tracée et une voix souvent autotunée qui nous transporte ailleurs : Lil B - My History pour vous servir.
Un peu d’histoire
Comme LiL B l’a dit, c’est le moment de parler histoire. Le cloud rap, on le connaît chez nous via PNL ou ASAP Rocky, mais le genre trouve ses racines en 2009. Lil B est le premier à lui avoir donné un contour dans les médias : dans une interview, il dit en montrant un tableau représentant un château dans les nuages “je veux que ma musique ressemble à ça”. Ensuite, il désigne Squadda B comme le king du game (à l’époque membre de Main Attrakionz). Dénué d’intérêt pour les stars de l’époque, il faut attendre ASAP Rocky, avec le MOB (RIP ASAP YAMS on t’aime) pour voir les cadors s’y intéresser. Xscapes (2013) donne un bon exemple de l’évolution du style : on entend beaucoup plus de paroles, avec le même genre de rythmique un peu old school (jouable à la batterie).
Ce nouvel intérêt pour le texte va amener de plus en plus d’artistes à reconsidérer le genre. Chief Keef, Pusha-T, 2 Chainz, chacun s’y essaye un petit peu, voire en fait son fond de commerce. Le genre apparaît en France via TripleGo avec Montreuil Sous (2013) et Joke dans Ateyaba (2014, décidément toujours un peu trop en avance lui) , mais sans percer réellement. Il faut attendre 2015 et l’album de PNL Que La Famille pour voir le cloud rap exploser. Eh ouais chico, les vrais rois du genre c’est deux dz et même l’armée n’y peut rien. Ce genre est maintenant en pleine ascension, et se développe dans le reste de l’Europe et même en Asie, et atteint des niveaux record de popularité (Lil Peep, XXXtentacion, PNL, DTF, Yung Lean, Keith Ape) sur les scènes locales et internationales, et influencent de très nombreux artistes, qui vont être plus cloudy, voir vont sortir des sons de cloud comme Seth Geko dans Dans Quelques Euros.
Pourquoi cette popularité?
Les artistes comme le public, tout le monde s’y intéresse et en écoute. Le phénomène Lil Peep, blanc, pas dealer ni gangsta contrairement à la majorité des autres représentants du genre, a propulsé le genre sur le devant de la scène pour la bonne et simple raison que comme lui, l’américain moyen en a marre. Marre de tout, marre de la politique, des darons qui cassent les couilles, de l’emprunt de 100k à faire pour les études, marre d’une société malade et triste, marre des infos alarmistes… Et finalement, il devient plus facile de s’identifier à lui pour la majorité des jeunes blancs américains, qui représentent une grosse part du marché musical (et surtout la part ayant le plus de pouvoir d’achat). Mais plus que ça, c’est finalement la mort de l’artiste qui a donné une toute autre dimension à sa popularité, tout comme XXXTentacion. Le cloud rap ayant des limites très floues, on peut considérer ces deux artistes comme acteurs de sa popularisation.
Ensuite, la plupart des pionniers du genre ne sont pas du genre sérieux : une communication en dilettante, des albums à 4 sons ou des mixtapes à 100 pistes (no joke, Lil B a sorti 800 freestyles compilés en 8 volumes), 3 projets en 5 mois et rien pendant 2 ans… Ce manque de sérieux les rend plus humains que les machines à produire bien calibrées. Leur musique, de fait, semble plus authentique et plus touchante. On peut aussi y voir une forme d’amteurisme qui explique pourquoi les artistes n’ont pas percé (comme Lil B, avec une énorme fanbase internet sur Twitter ou MySpace mais avec seulement 119 000 personnes qui l’écoutent par mois sur Spotify).
Le rapport à la drogue, à la bédave, rapproche aussi beaucoup le public de l’artiste. On sent partout une forme de mélancolie, qui traduit un quotidien malheureux (la vie dans le hood ou dans la cité) dans un environnement apparaissant comme sans avenir (le trafic, la violence, la rue) dans un monde qui meurt (c.f Lil Peep). Même si peu de gens du grand public partagent les 2 premiers points, le dernier en revanche est commun à tous, et cette tristesse peut trouver une forme de catharsis à travers cette musique (on aura plus tendance à écouter I crash you crash quand on déprime que Elle est bonne sa mère).
Une autre forme cathartique peut être trouvée dans la transgression : sans donner raison aux bandeurs de cité, le fait de partir d’en bas pour tout niquer, le danger (certains s’imaginent que vivre en cité c’est vivre plein d’aventures, comme si Montreuil c’était Namek ou le 91 Grand Line), la drogue (on oublie pas que la molécule THC est appréciée par 3.8% de la population mondiale, chez nous testée par plus d1/4 des 18-25 - champions d’Europe haut la main-) peuvent attirer des gens à 10 000km de tout ça. Pourquoi ne pas écouter du Kalash Criminel alors? Parce que justement le cloud rap dispose d’une palette musicale tout à fait différente (ce qui explique le fait que beaucoup de gens adorent Pink Floyd et PNL par exemple) et avec des lyrics plus chantants. Comme quand on écoutait du Sinik à l’époque, certains ont l’impression de faire une bêtise en écoutant du Josman ou du DTF, et s’évadent d’un quotidien pour aller dans un autre qui leur semble plus intéressant ou excitant (l’herbe est toujours plus verte ailleurs même quand tu touches la meilleure des beuh).
En parlant de drogue, tous les plus grands bedaveurs ont versé dans le style, pour leurs sons “défonce” : Wiz Khalifa, Lil Uzi, Snoop Dogg, chez nous Vald, Niska, Josman (MÊME SETH GEKHO) … La défonce sous toutes ses formes, sous purple, sous ecsta, sous weed, sous toute forme de substance, faite par des consommateurs pour des consommateurs explique aussi ce goût prononcé. C’est particulièrement incroyable de vivre son bail et d’entendre l’artiste qui pose exactement les mots sur ça. Pour citer TripleGo dans Medellin : “Jsuis seul dans ma défonce, Mais bizarre moi j’aime ça, T’expliquer, pourquoi, tu comprendrais même pas
La scène française dans tout ça?
D’un point de vue mercantile, nos représentants sont monstrueux comparativement aux autres. PNL, c’est 4 albums de cloud, 8 single de diamant, deux albums 3x platine et un diamant. Proportionnellement et sur un seul domaine, c’est sans concurrence. Sur un registre plus musical, la scène française se distingue par une recherche de sample référencée (animés, jeux vidéos cultes) très pointue, une esthétique et un univers propre, et surtout une forme d’aventure et d’exploration de style et de “cloudisation” mélodique. De plus, le texte revêt souvent une importance et un sens qui dépasse le drogue - sexe - drogue qu’on retrouve habituellement. A seulement 16-17 ans, Moha et Lazer ont pondu des sons comme Bulma ou Loin des Étoiles, alors qu’est ce que ça donnera d’ici 3-4 ans? On possède une scène très florissante de d’artistes connus entièrements consacrés à ce style.
Comparativement, si les autres scènes européennes sont elles aussi bien représentées, elles n’ont pas du tout le même succès ni le même but (qui vise souvent pour eux à caricaturer le rap US). Marginaux dans le reste du monde, les artistes de cloud se sont imposés chez nous.
Ensuite, la communication et le sérieux sont très bien gérés. Il suffit de voir comment PNL ont pu tenir des milliers de français comme des abrutis à regarder une planète qui tourne pendant 24h (j’ai pas quitté l’onglet youtube des 24h) et à vendre des briquets à 45 balles la semaine d’après. On retrouve une prod musicale plus pro : rien n’est samplé à l’arrache ni bâclé (parfois même un peu trop perfectionniste), une distribution et une publicité du tonnerre, et une communication médiatique quasi nulle pour préserver le côté mystérieux.
Sans prétention, on peut dire que notre scène est particulièrement excellente et prometteuse, ce que je vous laisse découvrir - entre autres - dans la playlist de l’article!
En tout cas, le cloud rap ça te prend et ça t’emmène loin peu importe la langue, alors toi qui vient de lire cet article j’espère que tu planes bien haut. Et si jamais t’en a pas eu assez, je te laisse kiffer ma petite playlist qui reste dans le thème avec 5h de son from all around the world!
En accompagnement de l'article : https://open.spotify.com/playlist/0j8bwzF0AoYZY8swPdNjWv?si=4Z1DQIGIRYOE0ZLmCVUm8g&fbclid=IwAR2kgtFcfCp4tYwfHRtx4c8-P7ZFp36vTEL-KoTpOKv4gpNCCtG27pdJKW4
Foncez savourer ces son sur spotify!
++ Bonus : Quelques liens cools que je peux pas mettre dans la tracklist pour du bon son :
- TripleGo - Montreuil Sous https://www.youtube.com/watch?v=UxEPE_25AeI
- Lil Peep - I crash you crash https://www.youtube.com/watch?v=XsZGjzpknlQ / witchblades https://soundcloud.com/wififorfree/lil-peep-x-lil-tracy-witchblades et plus globalement toute cette playlist :
https://www.youtube.com/watch?v=qwzQPh7dW_4&list=
PLLnG58WprHRs-jxJOkMxlXHgTm TARrNqG
- Lil Tracy - filet mignon https://soundcloud.com/tracy1k/lil-tracy-filet-mignon-prod-badmon56k
- Le clou final : l’article qui décrit l’artiste le plus symbolique des rappeurs cloudy le grand Lil Based God https://www.newyorker.com/culture/culture-desk/the-dumb-brillance-of-lil-b
Par Alban Tran, from Tokyo
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